samedi 24 août 2013

Ah, que ce qui importe a peu de visage!


Quand j’étais enfant, je m’inquiétais beaucoup d’une certaine rue Traversière. Car, à l’une de ses entrées, pas trop loin de notre maison et de l’école, c’était le monde ordinaire, tandis qu’à l’autre, là-bas…
Cependant que ce nom troué de feux m’assurait qu’elle était bien le passage.
Et je regardais donc de tous mes yeux à droite et à gauche quand nous la prenions, car cela nous arrivait, à des jours, et même pour aller jusqu’au bout, comme si c’eût été une rue quelconque, mais je parvenais là fatigué, un peu endormi, et c’était soudain l’espace bizarre du grand jardin botanique. 
 - Est-ce ici, m’étais-je dit à plusieurs moments, que là-bas commence? 
Ici, dans cette maison dont les volets sont fermés? 
Ici, sous ce lilas? 
Et dans ce groupe d’enfants qui jouent, au cerceau, aux billes, sur le trottoir déjointé par l’herbe, l’un n’est-il pas déjà de l’autre bord, ne touche-t-il pas les mains des petites filles d’ici avec des doigts de ténèbre? 

Notions certes contradictoires, fuyantes. 

D’autant que ces pavillons, ces voûtes d’arrière-cour, ne se distinguaient nullement de beaucoup d’autres de notre ville, on n’y sentait, on n’y respirait jusqu’aux dernières portes de tôle peinte, que le surcroît de torpeur des banlieues un peu potagères. 
Ah, que ce qui importe a peu de visage! 
Arrivé au jardin, qui a des noms inscrits sous chaque arbre, dans l’odeur autre,  je partais en courant, soudain réveillé, je voulais aller loin, entrer ailleurs, mais les allées bordées de petits arceaux devaient tourner, 
dans l’ombre des buis, et se renouer à leur origine, 
car je me retrouvais au point de départ, 
cette fois encore.


Mercure de France, 1977

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